vendredi 26 décembre 2008.
C’était prévu, lors de la grande parade de la fête de l’indépendance, le 11 décembre 2008 à Fada N’Gourma, qu’on présente une vingtaine d’espèces dont le lion, l’éléphant, le buffle, etc. Finalement, c’est plutôt les hyènes et quelques rares kobas que les invités ont pu découvrir, ce qui a laissé plus d’un sur sa curiosité. En rappel, le ministre de l’Environnement et du Cadre de vie, Salifou Sawadogo,...
a avoué en fin de compte qu’il est difficile de faire défiler les animaux tels que le lion, l’éléphant. Nous nous sommes entretenu avec le chef de capture des espèces : il s’agit de l’éminent professeur Alassane Séré, qu’on ne vous présente plus, agrégé des Ecoles nationales vétérinaires françaises. Il fut également directeur de l’Ecole inter-Etats des sciences et médecine vétérinaires de Dakar au Sénégal et ministre des Ressources animales. Avec cette personnalité titulaire de plusieurs décorations burkinabé et étrangères, nous avons recueilli des informations intéressantes à plus d’un titre sur la capture des bêtes.
Dans quel contexte avez-vous été approché pour diriger l’équipe de capture des animaux sauvages ?
• Merci d’abord de venir vous entretenir avec moi. Très jeune, j’avais une attraction pour les animaux, la faune en particulier. En seconde au Collège moderne de Ouagadougou, j’élevais un faon (petite biche), à qui je donnais son biberon de lait Guigoz à heures fixes, 7 h, 12h15, 19 h.
Dès qu’un professeur dépassait son heure, elle débarquait en toute vitesse dans la salle de classe en bramant, et cela amusait beaucoup les professeurs mais pas le proviseur, qui la voulait pour sa fille et tentait de m’interdire de garder un animal dans les dortoirs. Je lui ai répondu que cet animal est bien pour sa fille dans l’enceinte du collège mais pas pour moi.
Il était coincé. Pour la petite anecdote, deux de mes camarades et amis, dont l’architecte Abel Isaac, faisaient des prélèvements dans mon lait, et ils s’invitaient, pour que je ne le sache pas, à « chiquer leur tabac ». Cette passion ne m’a jamais quitté d’autant que j’ai vécu mon enfance à Fada, où à l’époque les koba traversaient la route à seulement 10 km de la ville. Tout cela a été à l’origine de ma vocation de vétérinaire.
En tant que professeur agrégé de physiologie et de pharmacodynamie, j’ai axé une bonne partie de mon cours sur les drogues utilisées pour les captures, et j’avais, en tant que directeur créé un module pour cet aspect particulier, car je pensais que cette activité importante pour l’Afrique devait être maîtrisée par nos étudiants futurs vétérinaires. Nous avons alors travaillé avec les Eaux et Forêts du Sénégal sur les captures et les premières transplantations pour la forêt de Bandia, située à quelques encablures de Dakar et qui est aujourd’hui un lieu touristique très fréquenté.
Dans le programme du gouvernement en 1997, il était inscrit l’élevage des animaux non conventionnels comme source de création d’emplois pour les jeunes et les femmes (pintades sauvages pour les lâcher pour les tirs, francolins pour leur chair et surtout pour les vertus thérapeutiques contre les ictères, autruches, cob de buffon, bubales, kobas, crocodiles.
Le chef de l’Etat avait innové en la matière, puisqu’il avait élevé un couple d’antilopes (cobs de buffon), qui a fait de nombreux petits. Il a été retiré de la résidence parce que le mâle, avec l’âge, était devenu agressif. J’ai ramené de Dakar mon fusil de téléanesthésie. Nous avions en son temps débuté la formation aux captures en envoyant en stage au Kenya deux cadres, un docteur vétérinaire et un cadre de l’environnement, qui a constitué l’ossature de mon équipe plus tard. C’est cette équipe qui a procédé à la capture de l’éléphant solitaire qui rôdait aux alentours de Ouagadougou.
C’est encore notre équipe qui a anesthésié et opéré avec succès une femelle girafe du parc animalier de Ziniaré, laquelle a été éventrée, intestin dehors, par une mère élan qui protégeait sa progéniture de la tendresse bien connue des girafes. C’est aussi notre équipe qui a anesthésié la femelle hippopotame qui avait donné naissance à un avorton suivi d’une métrite purulente. Je peux dire que j’ai été un des tout premiers vétérinaires à faire la fouille d’un utérus d’hippopotame pour en extraire les débris purulents et la soigner avec succès.
Elle a, du reste, été totalement guérie, ce qui n’était pas évident pour une affection devenue chronique, puisqu’elle a donné le jour à un petit, âgé de quelque deux mois. Nous avons également anesthésié deux lions qui se sont trouvés coincés des heures entre le grillage et le mur d’enceinte afin qu’on puisse creuser un trou dans le béton pour les en extraire. Malheureusement, une femelle est morte par suite d’étouffement. C’est dire que l’équipe avait déjà des acquis.
La foire se déroulant à Fada, il était normal que le gouvernement et le ministre de l’environnement songeassent à le placer sous le signe de la valorisation de notre patrimoine faunique. J’ai été saisi par les services du ministère pour effectuer la capture de 5 espèces (en couple) en vue de la foire exposition il y a environ un mois et demi. Compte tenu de la pertinence du sujet, j’ai préféré renforcer l’équipe par un ami vétérinaire spécialiste de la faune de la Kenya wildlife service, car nul n’est prophète dans son pays, spécialement au Burkina Faso.
Quelles sont les espèces fauniques que votre équipe devait capturer ?
• Il s’agit de cinq espèces, à savoir un couple de bubales, un couple de buffles, un couple de kobas, un couple de waterbuck ou cob onctueux, et un couple de kobs de buffon. L’éléphant a été ajouté par la suite On a parlé de plusieurs espèces, mais ces espèces devaient provenir de la ménagerie de conservateurs de parcs. C’est uniquement les difficultés d’acheminement qui en ont amené la réduction du nombre.
Finalement, combien d’animaux on été capturés ?
• Nous en avons capturé en tout 12 y compris les éléphants, au nombre de 3. Dans la recherche de l’éléphant de taille manipulable pour remplacer le fugitif, on a capturé un sujet qui s’est révélé trop lourd pour être hissé dans la cage sur le camion. On l’a donc réveillé et il s’en est allé de son train de sénateur.
Avez-vous rencontré des difficultés pour avoir certains animaux ? • Pas spécialement. Lorsque l’on a une équipe avec une répartition précise des tâches, tout est facile. La logistique est la pièce maîtresse du dispositif. Tirer sur un animal pour l’anesthésier ne pose aucun problème. Un physiologiste avec l’expérience accumulée tant au niveau de la recherche que de l’enseignement a toutes les astuces pour préparer la mixture qui convient, et connaît le comportement des animaux sous l’effet de la drogue. Cette observation du comportement nous a permis de recourir à des mélanges totalement inédits pour les éléphants, les antilopes, qui sont inconnus même parmi les professionnels de la capture.
La principale difficulté concerne la coordination entre l’hélico qui a l’équipe de tireurs et de réanimation et l’équipe au sol qui va transporter les animaux. Nous l’avons appris à nos dépens, car nous avons souhaité zéro mortalité, et pour être franc, nous avons perdu la première bête au grand désespoir de toute l’équipe parce que tout simplement la liaison radio était défaillante.
En plus, l’équipe au sol est venue beaucoup trop tard, 2h après. L’animal était stressé par la course, il est tombé dans une zone découverte, sans ombre, au soleil. La plupart des produits utilisés dépriment la fonction respiratoire. Or avec les courses, pour peu que l’animal soit essoufflé, il peut succomber à un arrêt respiratoire.
La solution est l’intervention rapide, à savoir monter l’animal endormi et lui administrer l’antidote, qui lui permet de se réveiller instantanément, en quelques secondes, comme s’il n’avait rien reçu. Un hélico qui vole va plus loin qu’on ne l’imagine et peut faire 20 km en peu de temps alors que sur les pistes, les véhicules chargés roulent à 20 km/h. On a donc remédié à la lacune dans la transmission et tout s’est déroulé à la perfection.
Le rôle de l’hélico est primordial, car il faut qu’il approche l’animal au plus prêt et le plus rapidement possible pour éviter une longue course. Et les pilotes de l’Armée de l’Air forcent notre admiration. Je m’étais juré de ne jamais mettre les pieds dans un hélico, tant j’ai la frousse de ces engins, mais avec ceux-là, on y est comme chez soi.
Voler à très basse altitude, faire des virages comme avec un vélo, séparer l’animal sur lequel tirer du reste du troupeau, tout cela, nos as du pilotage le maîtrise à la perfection ; ensuite, il y a le repérage du troupeau, or ces pilotes ont participé à des opérations de comptage de la faune, ont été partie prenante à plusieurs opérations de ce type. Une équipe française de capture en mission avait signalé le grand professionnalisme de cet équipage.
Le Kényan a dit que tout est possible avec eux, surtout dans nos conditions, où nos animaux sauvages sont exposés aux chasseurs donc se déplacent au moindre bruit par rapport à ce qui se passe au Kenya, où c’est le tourisme de vision, et les animaux restent placides Leur sens aigu de l’orientation a été déterminant. Il y avait aussi le directeur de la Faune et de la Chasse, un vieux briscard dont la connaissance du terrain était phénoménale. Rien qu’en regardant l’écosystème il orientait les pilotes vers les lieux où on pouvait trouver les éléphants, les bubales, les kobas.
Dès qu’un animal était touché, on le suivait tous du regard pour voir où il allait tomber, mais lui choisissait un repère, soit un baobab, soit un rônier que sais-je encore pour savoir où l’animal était tombé. On aurait perdu un waterbuck s’il n’avait pu choisir un bon repère, car cet animal, qui vit en permanence près de l’eau, a tendance à se réfugier sous le couvert végétal dès qu’il se sent en danger, et on le perd assez vite.
Les équipes au sol était conduites par un jeune cadre de l’environnement, qui maniait la communication à la perfection, ce qui, après notre premier déboire, s’est révélé d’une redoutable efficacité, car depuis, l’équipe au sol n’a jamais dépassé plus de 20 à 30 mn pour rejoindre le lieu de la chute d’un animal, permettant à l’équipe des pisteurs et des agents des eaux et forêts de le hisser tout de suite dans sa cage pour le réveil.
L’équipe, en peu de temps, était soudée, et on se surprenait à plaisanter sur tel ou tel sujet et à se remémorer les astuces des chasseurs, disant de ne pas commencer par tel animal, qui porte malheur. La facilité du travail nous est-il montée à la tête ? Certainement pas, mais on avait eu une si grande assurance qu’on disait aux autorités que la capture n’était pas un problème, le transport des animaux par les chauffeurs des concessions avec dextérité et sans coups de freins brusques non plus.
Vous avez parlé de problèmes. On les rencontre dans le management des animaux après la capture. Il fallait, avant les captures, construire un abri sécurisé et sécurisant pour eux : il s’agit de booman, nom afrikander ou zoulou, assez spacieux et à deux compartiments, qui permet d’isoler un animal dans un compartiment, pour nettoyer l’abri et lui donner à manger en toute sérénité. Les plans ont été tracés, mais la main d’œuvre a fait défaut… ce qui fait que les premiers animaux capturés ont dû rester 24 h en attendant la libération d’un booman.
On a dû interrompre la capture deux jours en attendant que les booman soient prêts. On a pu, tout juste, apprivoiser les animaux, pour qu’ils n’inquiètent pas les visiteurs, mais pas assez pour pouvoir les faire défiler, car cela devait prendre au moins un mois et demi à deux mois. Ç’a été une vraie prouesse de faire défiler un couple de bubales lors du défilé. Là également, il faut rendre hommage à un agent des Eaux et Forêts qui a travaillé à la limite de ses forces.
Un éléphant, en s’échappant à Fada, a blessé un enfant ; est-ce que les moyens techniques étaient au rendez-vous pour éviter que l’animal ne quitte sa cage ?
• C’est un évènement malheureux qui nous a tous affligés. L’éléphant est l’animal le plus intelligent et le plus fort qui existe. Rien qu’avec ses muscles et son poids, il peut terrasser un arbre. L’éléphant peut passer à travers « un trou de souris ». L’éléphant n’avait pas de booman.
Pendant qu’on était en capture, un booman a été fabriqué selon les normes de solidité et de sécurité, mais les tacherons, les travailleurs en général, n’aiment pas la routine, ce sont des artistes qui font des pièces uniques, et à notre étonnement, la cage n’était pas aux normes avec les deux compartiments. Les portes n’étaient pas aux normes.
Il fallait décharger l’animal et trouver des astuces pour le maintenir en essayant de renforcer ce qui pouvait l’être. C’est dans ces conditions que par une ouverture, toute petite, il a pu s’échapper à 3h30. Il allait tranquillement vers sa brousse, mais au petit matin, dès que les gosses l’ont aperçu, ils se sont mis à lui courir après.
L’éléphant agresse rarement s’il n’est pas dérangé. Le gros mâle solitaire de la première capture vivait aux alentours des villages sans problème, mais les gosses le dérangeaient tellement qu’il avait commencé à devenir agressif. Il nous a même été conté que comme les enfants pouvaient l’approcher facilement, certains féticheurs les avaient payés pour lui couper la queue, qui devait servir de talisman. Quand on l’a conduit à Nazinga, je me souviens qu’il avait mis sa trompe dans la cabine du chauffeur pour lui caresser le visage, suscitant une peur bleue chez ce dernier, qui a refusé de conduire le véhicule.
Les autorités ont décidé, après ce malheureux incident, de conduire le second éléphant capturé à Ouagadougou. Je l’ai accompagné moi-même. Lorsque j’ai vu l’abri en fer sécurisé mais avec une petite ouverture dans le grillage, j’ai dit que l’éléphant allait s’échapper par là On m’a répondu : c’est impossible.
Mais que s’est-il passé ? Il n’a pas jugé bon de faire tout un tour d’acrobatie. Il a étudié la cage toute la nuit, a vu qu’il s’agissait d’une porte coulissante avec un crochet. Il a tout simplement ôté le crochet, fait coulisser la porte et est sorti tranquillement. Heureusement qu’on s’en est rendu compte rapidement, et comme il y avait du monde, il a été repris au filet.
On a ramené aussi un jeune mâle au parc de Bangr’wéogo dans une cage métallique renforcée aux normes IATA pour le transport aérien il y a trois ans. Il est sorti devant les gardes médusés, hypnotisés, qui se demandaient et qui se demandent toujours : comment a-t-il fait pour sortir de là ? Il a découvert le parc rapidement dans tous ses recoins pour choisir la zone des sables mouvants, où il était inaccessible. On a mis quinze jours pour le rattraper. Ces jeunes mâles sont formés par les parents pour protéger le troupeau : Ils sont appelés askaris (soldats) et ont plus d’un tour dans leur sac.
Certaines espèces, comme le lion, n’ont pas défilé, est-ce parce que votre équipe a rencontré des difficultés dans leur capture ?
• J’ai en partie répondu à cette question. Un animal, même domestique, doit être préparé longtemps à l’avance pour un défilé. Un animal sauvage ne se domestique pas, il s’apprivoise. Il a manqué du temps pour cela.
Nous avions refusé de les tranquilliser pour éviter toute mortalité lorsqu’un animal vivant se débat sous la drogue sans être conscient. Toutefois, les bubales, moins craintifs, sont rentrés tranquillement dans leurs cages et ont pu défiler, ce qui est une vraie prouesse.
Quel bilan faites-vous de la mission qui vous a été confiée ?
L’équipe se professionnalise de plus en plus et n’a rien à envier aux équipes venues d’ailleurs avec de gros moyens. Ensuite, en ce qui concerne le ministre de l’Environnement, il a suivi de bout en bout l’opération, et je me souviens qu’il était là à 1h du matin lorsque je déchargeais mon couple d’autruches. Devant les difficultés de la tâche, il nous a accompagnés tout le temps.
J’ai tenu à le lui dire lors du dîner qu’il nous a offert .Je sais que les gens vont parler, que mes frères burkinabé vont parler, mais le plus grand succès que vous avez obtenu est d’avoir pensé à cette foire exposition. Le tourisme de vision, la protection de la faune ne peuvent se faire qu’en associant les populations. Or, cette exposition vivante a connu un succès éclatant, qui a éclipsé tous les autres stands.
Devant l’affluence, j’ai demandé à deux spécialistes de nous faire le décompte approximatif de ceux qui ont visité le stand des boomans. Vous me croirez ou ne me croirez pas, les chiffres oscillent entre 4500 et 6000 en deux jours. Y a-t-il plus grande sensibilisation que cela ? On a vu des parents amener leurs gosses, on a vu des enfants transportant leurs vieux pour venir voir les animaux.
Je proposerais à la suite de cela qu’on crée un zoo à Fada pour que la protection de la nature dans cette zone, la plus riche et la plus diversifiée en faune sauvage, puisse susciter des vocations parmi les jeunes femmes et enfants, qui ont défilé devant les stands sans désemparer, et créer ainsi chez eux l’envie de protéger cette richesse, leur richesse.
Cyr Pagnim Ouédraogo
L’Observateur Paalga
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dimanche 28 décembre 2008
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