Peter Brook annonce son départ de la direction des Bouffes du Nord pour 2010
Propos recueillis par Fabienne Darge et Michel Guerrin
Article paru dans l'édition du 14.12.08
Depuis 1974, le metteur en scène britannique Peter Brook dirige les Bouffes du Nord, dans le quartier de la Chapelle, à Paris. Il a fait d'une ruine oubliée un théâtre phare, où il a créé des spectacles mythiques, comme Timon d'Athènes, Le Mahabharata ou Carmen.
Cette longévité est liée au talent du directeur, mais aussi au statut privé de ce théâtre. Agé de 83 ans, Peter Brook, et la codirectrice, Micheline Rozan, ont décidé de passer le relais en douceur. Ils annoncent qu'Olivier Mantei, 43 ans, et Olivier Poubelle, 48 ans, prendront les rênes des Bouffes du Nord à l'horizon 2010.
Olivier Mantei est directeur adjoint de l'Opéra-Comique et responsable de la programmation musicale des Bouffes du Nord. Olivier Poubelle est entrepreneur de spectacles, et il exploite les salles du Bataclan et de la Maroquinerie à Paris. Peter Brook s'explique sur un choix qui va donner une forte orientation musicale au lieu.
Comment avez-vous envisagé votre succession ?
Avec le passage du temps, je cherche depuis longtemps la bonne façon de me retirer. Parfois, j'entends : "Les Bouffes, c'est votre théâtre." Ce n'est pas le cas, même si notre statut est unique. Notre indépendance est totale. Nous louons ce lieu autour de 150 000 euros par an à un particulier. Et si l'Etat nous donne 1,2 million d'euros par an, nous ne pouvons vivre sans les tournées de nos spectacles. Les Bouffes abritent le Centre international de recherche et de création théâtrale, qui est au coeur de mon travail. Je vais continuer d'animer le volet recherche du centre. L'idée était d'imaginer une succession capable d'établir une continuité et d'apporter un renouvellement.
Ne craignez-vous pas une image négative : "Brook, l'artiste du théâtre, confie les clés à des entrepreneurs de spectacles" ?
L'arrivée de Poubelle et Mantei est pour moi un soulagement. Le premier est très impliqué dans les musiques populaires, mais il a revitalisé la tradition du conte, il travaille avec Fellag et avec le groupe rock des Têtes raides, très créatifs et déjà venus chez nous.
Olivier Mantei a été administrateur des Bouffes, une maison qu'il connaît. Il a joué un rôle central auprès de formations classiques, comme le choeur Accentus de Laurence Equilbey. Il m'a convaincu que le classique avait sa place aux Bouffes. Or, j'ai le désir de développer la musique. Ce théâtre le permet, les musiciens aiment y jouer, en raison de l'acoustique et de la proximité avec le public. Mes spectacles, comme Carmen ou Impressions de Pelléas, l'ont montré. Rappelons que les Bouffes ont été à la fois un music-hall, un théâtre très sérieux, un lieu de revues.
Y aura-t-il encore du théâtre ?
Bien sûr ! Mes créations notamment. Nous avons une conviction commune, avec Poubelle et Mante : l'opéra, les musiques populaires, le théâtre ou la danse peuvent se marier dans un même spectacle, afin d'inventer de nouvelles formes. Ce sera notre vocation.
Pourquoi ne pas avoir choisi un artiste pour vous succéder ? L'auteur et metteur en scène Joël Pommerat a été cité.
Joël Pommerat s'est vu offrir par le Théâtre de l'Odéon la possibilité de travailler dans sa salle des Ateliers Berthier. Il en est ravi. Peu d'artistes, hormis des personnes comme Pommerat ou Stéphane Braunschweig - appelés ailleurs - seraient capables de faire tourner les Bouffes, qui doivent impérativement créer des spectacles qui se vendent dans le monde entier. Mantei et Poubelle sauront créer cette dynamique. Ils ne sont pas de simples administrateurs.
Comment se fera la transition ?
En douceur. Avec Micheline Rozan, nous avons bouclé le programme pour 2009. Je monterai les Sonnets de Shakespeare au printemps. Nous présenterons à l'automne la version anglaise de Tierno Bokar. Mantei et Poubelle prendront la responsabilité financière et administrative à partir de 2010. Outre un spectacle de Joël Pommerat, la programmation sera en 2010 le fruit de notre collaboration. Mon adaptation de La Flûte enchantée - un Mozart très intime - en sera le symbole puisque le choix de la distribution s'appuie sur l'expérience de Mantei. En 2011, Poubelle et Mantei seront totalement aux commandes. Ils pourront développer leurs projets musicaux et nous leur ferons des propositions pour que le fil du théâtre soit maintenu. Nous ferons tout pour les aider.
Ne craignez-vous pas que l'Etat, qui chasse les économies, refuse aux nouveaux directeurs ce qu'il ne pouvait vous refuser ?
Nous avons avec l'Etat un contrat sur trois ans qui se termine fin 2009. L'Etat peut décider de donner moins d'argent à partir de 2010 en raison de la nouvelle formule des Bouffes. Mais, si la qualité demeure, ce serait une grave erreur...
Envisagez-vous d'arrêter de faire du théâtre ?
C'est comme si vous me demandiez : "Jusqu'à quel âge allez-vous vivre ?" Ça ne dépend pas de moi.
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lundi 22 décembre 2008
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