mercredi 24 décembre 2008.
Lâcher la proie pour l’ombre ne débouche pas toujours sur un gain incertain. C’est la démarche artistique de Saïdou Dicko qui photographie des ombres au lieu de faire poser des sujets. Et cela donne un théâtre d’ombres fait d’une multitude de silhouettes volées dans les rues qui sont d’une grande réussite artistique. La salle de la rotonde du centre culturel français Georges-Méliès accueille actuellement une exposition des ombres de l’artiste.
Saidou Dicko est un artiste-peintre burkinabè qui vit à Dakar. Sa rencontre avec la photo est récente, elle ne date que de trois ans. Pourtant, elle fut heureuse à juger du succès rencontré par ses photos à la Biennale de Dakar où elles ont été primées en 2006 et 2008, un peu partout en Europe et aux USA lors de leur exposition au siège de la Banque mondiale ! Avec un appareil photo, Saïdou Dicko retrouve ses anciens plaisirs de petit berger qui traçait avec le doigt les contours des ombres projetées par ses moutons sur le sol.
Maintenant, il ne s’agit plus d’ombres d’animaux, Saïdou traque les silhouettes de ses semblables dans les ruelles de Ouagadougou, de Dakar ou de Déou, son village natal. Son appareil piste les ombres sur les murs lépreux des cités africaines, ramène les silhouettes qui se découpent sur le sol ou jettent une nappe noire sur le blanc décrépi des maisons.
C’est un théâtre d’ombres qui met en scène des enfants courant derrière un cerceau, des fillettes dont les tresses se dressent sur la tête comme une houppe de clous de poupée voudou, et des jeunes hommes en casquette ou en équilibre précaires sur des vélos telles de grosses araignées.
Faut-il y voir dans ce choix détourné de montrer les hommes sans exposer leur visage, le besoin pour l’ancien Talibé qu’est Saïdou Dicko de respecter l’interdiction faite par le Coran de représenter l’homme ? Ou simplement le besoin de retrouver le pouvoir de suggestion de l’ombre et le supplément de mystère qu’elle ajoute à la représentation.
De la caverne de Platon où les hommes demeuraient perplexes devant la danse de leurs ombres à la lanterne magique du cinéma de notre enfance jusqu’à pari de l’enfant qui joue à être plus rapide que son ombre, il y a, en tout homme, la prescience diffuse que derrière l’ombre, il y a une autre réalité. Et derrière les ombres de Saïdou Dicko, il y a tout un monde.
En effet, on lit dans ces ombres la condition sociale de leurs propriétaires. Outre le délabrement des murs, il y a les objets (vélo, jante utilisée comme joujou de pauvre, pantalon sauté) qui montrent que nous ne sommes ni dans les quartiers huppés ni avec un échantillon de la bourgeoisie africaine.
Toutefois, il n’y a aucun misérabilisme dans ces clichés ; on y sent plutôt la pétulance de la vie, une gaieté de vivre qui s’épanouit dans les jeux des enfants courant derrière des pneus dans les rues et dans les gestes quotidiens de ces hommes et femmes qui, malgré des conditions d’existence difficiles, célèbrent la vie. Dans cette entreprise artistique, Saïdou Dicko témoigne pour les plus humbles tout en leur rendant hommage.
En ne montrant pas leur visage -un chasseur n’est pas un paparazzi- il respecte leur intimité et en même temps, les universalise : ils sont d’Afrique, mais ils pourraient tout aussi bien être d’Asie ou d’Amérique… car une ombre n’est d’aucune race ni d’aucun pays. D’où le succès rencontré par de ces photos sur tous les continents.
Et, à regarder les ombres de Saïdou Dicko, on est saisi d’un paradoxe : si ces photographies sont là, taches obscures sur fond clair, c’est parce qu’elles sont nées de la lumière. Montrer des ombres, c’est affirmer la présence de la lumière. Aussi, les photos ont été prises dans des ruelles baignées d’un soleil généreux. A l’allongement des silhouettes, à leur netteté ou au flou de leurs contours, on devine à quelle heure de la matinée ou de l’après-midi le photographe les a cueillies. Ces ombres n’ont pas surgi des ténèbres, elles ne sont ni celles de rôdeurs nocturnes, ni des ombres errantes et solitaires dans la nuit, elles sont les instantanés des existences au grand jour, laborieuses et solaires.
Saïdou Dicko est un chasseur d’ombres. Et ces ombres arrachées à l’anonymat de leurs propriétaires jettent des lumières sur les réalités sociales, en nous racontant la vie, entre dénuement et exubérance, des populations de nos cités. Après avoir fait le tour des photos de l’exposition, une question vient forcément à l’esprit : Qu’est-ce qui pourrait faire peur à un photographe d’ombres ?
Que les hommes aient un jour l’idée d’imiter Peter Schlemihl, le héros d’une nouvelle d’ Adelbert von Chamisso qui offrit son ombre au diable en échange d’une fabuleuse fortune ! Heureusement pour l’artiste qu’un monde sans ombre n’est pas pour demain.
Barry Saidou Alceny
L’Observateur Paalga
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