Salia Sanou, l’Afrique qui danse autrement
Le chorégraphe burkinabé Salia Sanou confronte la modernité de la danse contemporaine africaine aux pratiques traditionnelles. Un livre témoignage de son parcours et de celui des danseurs de tout le continent.
Catherine Maliszweski
Quoi de neuf en Afrique ? La danse. Depuis une quinzaine d’années, elle s’épanouit loin des gestes et rythmes ancestraux qui accompagnent aujourd’hui encore chaque rituel de chaque village. C’est l’avènement de la danse contemporaine africaine et Salia Sanou en est l’un des leaders. Avec Seydou Boro rencontré à Ouagadougou, ce Burkinabé né en 1969 dans le petit village de Léguéma a fondé la compagnie Salia ni Seydou. Elle sillonne la planète, présentant des mises en scène ancrées dans l’histoire moderne.
Ensemble ils ont ouvert le Centre de développement chorégraphique La Termitière, à Ouagadougou où a lieu, jusqu’au 20 décembre, le festival Dialogues de corps. Sanou a dirigé également les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan Indien, de 2000 à 2006, et s’apprête à résider trois ans au Centre national de danse (CND) de Pantin.
Il vient d’écrire un livre, Afrique, danse contemporaine (éd. Cercle d’art) en collaboration avec le photographe Antoine Tempé. Le propos est clair : souvenirs d’enfances, ferveur initiatique et militantisme culturel, Salia Sanou interroge sa relation à la danse, pose la question du continent africain face à la création artistique, déplore la non-implication des dirigeants africains dans le développement de la culture.
Comment est née votre vocation ?
Ma rencontre avec la chorégraphe Mathilde Monnier a tout déclenché. J’avais 22 ans, j’étudiais le droit par nécessité, dans l’espoir d’aider financièrement ma famille, mon père, ses femmes, leurs enfants… Je m’étais inscrit à différents concours administratifs ; j’ai décroché celui d’inspecteur de police. Mais la danse a toujours été primordiale dans ma vie - c’est l’un des piliers culturels de l’Afrique – et j’y trouvais un véritable épanouissement personnel. Alors quand Mathilde m’a proposé, en 1991, de la rejoindre en France, à Montpellier, pour interpréter l’un de ses ballets, j’ai sauté sur l’occasion.
Comment vos parents ont-ils réagit ?
Mal. Ils n’ont rien compris, j’ai même eu droit à des reproches. En Afrique le statut d’artiste n’existe pas. Danser n’est pas un métier, ça ne vous fait pas gagner de l’argent.
Parlez-nous des danses traditionnelles…
Dans les villages africains le parcours initiatique reste la pierre angulaire de l’éducation. Et la danse ponctue chaque étape de ce processus qui permet à l’enfant de devenir un homme. On se livre à des acrobaties spectaculaires, en enchaînant des sauts de mains, des saltos arrière et avant… On grandit avec elle, on devient adulte avec elle, elle inculque la même éducation, les mêmes codes : respecter l’être humain, écouter les anciens…
Ces valeurs ne sont-elles pas utopiques, en décalage total avec la réalité agressive de notre époque ?
Bien au contraire. D’abord parce qu’elles sont partagées par 80% de la population africaine, celle qui vit dans les villages. Ensuite parce qu’elles donnent des bases et des outils pour affronter le monde moderne.
En travaillant avec Mathilde Monnier, vous vous êtes confronté à la danse occidentale. Cela fut-il facile ?
Techniquement, ce n’était pas un problème. Intellectuellement, c’est autre chose : j’ai dû me défaire de mes réflexes, penser et danser autrement.
Comment est née l’idée d’une danse contemporaine africaine ?
Vers la fin des années 80, l’historien Alphonse Tierou a initié les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien, puis codifié les principaux pas et figures traditionnelles, qui contrairement à ce que l’on peut penser, n’ont rien d’improvisé. Avec Seydou Boro nous sommes les pionniers de la deuxième génération : nous confrontons ces pratiques à la modernité, nous cherchons à les faire évoluer, à raconter le temps présent.
Pourquoi un livre ? C’est rare un chorégraphe qui écrit…
Pour témoigner de mon parcours, de mes rencontres et de mes expériences. Je désirais laisser une trace écrite, moi qui viens d’un village où seule la tradition orale existe. Surtout je souhaitais mettre en lumière ce grand mouvement de création africaine qui interroge : l’art contemporain a-t-il sa place en Afrique ? Que veut dire « créer » par ici ? Pourquoi sommes-nous incompris ?
« Avec Seydou Boro, nous confrontons les pratiques ancestrales à la modernité, nous cherchons à les faire évoluer, à raconter le temps présent »
Avez-vous trouvé des réponses ?
Elles prennent corps dans mon travail. La première d’entre toutes, c’est la liberté d’expression. Je veux pouvoir dire ce que j’ai à dire sans diktat ni contrainte, partager ma vérité, la faire écouter. La tentation est grande, pour celles et ceux qui financent des démarches comme les nôtres, de vouloir orienter le propos.
N’est-ce pas la volonté de tout artiste ?
Sans doute. Mais en Afrique, le combat est plus rude. Certes, nous sommes des privilégiés puisque nous avons notre propre centre chorégraphique. Encore faut-il avoir les moyens d’y faire fructifier les talents. Est-il normal que 80% des subventions proviennent des pays étrangers ? Pourquoi les pouvoirs publics africains ne nous soutiennent-ils pas davantage ? Tant qu’il n’en sera pas ainsi nous serons toujours sur le qui-vive.
Que répondez-vous à ceux qui préfèrent investir dans la santé, la scolarisation, la construction des routes ?
Que la culture est le ciment de toute chose ! Je vois beaucoup d’organisations non gouvernementales débarquer avec leurs 4 x 4 et leur argent… Les membres de ces ONG échouent dans leur mission parce qu’ils pensent à l’occidental, sans prendre en compte les réalités culturelles du pays. Quant à nos dirigeants, ils considèrent les traditions africaines comme archaïques et les rejettent en bloc. Or, on ne peut aller vers la culture de l’autre que si l’on connaît déjà ces propres valeurs.
Avec la danse contemporaine africaine, vous vous démarquez pourtant des danses traditionnelles…
C’est plus compliqué que ça. Elles sont ancrées dans nos cultures, on danse pour aller travailler, on danse pour accompagner les morts, on danse de manière quotidienne… Chaque pays, chaque ethnie a les siennes, les Massais, les Zoulous… Nous en retenons l’essence, l’énergie, le mouvement, la volonté. Autant de forces qui animent nos corps mêmes si elles s’inscrivent autrement dans l’espace et le temps, mêmes si elles sont réinventées par les techniques modernes, la scénographie, les jeux de lumières…
Quel est le rôle culturel du Centre de développement chorégraphique La Termitière ?
Eveiller les consciences. Ainsi Poussière de sang, notre dernière chorégraphie témoigne-t-elle de la violence. Elle engage à revenir aux bases fondamentales de l’éducation africaine. L’impact de la danse contemporaine est exceptionnel sur les jeunes : ils sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser, certains veulent même en faire leur métier. Mais cette force vive est freinée par les gouvernements : ils ont peur de ce nouveau langage parce qu’ils ne le maîtrisent pas.
Y a-t-il un chef d’Etat africain qui sort du lot, selon vous ?
Nelson Mandela, il a ravivé les esprits. Les autres font preuve d’une mentalité régressive.
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lundi 22 décembre 2008
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